Les Immortelles
ou 9 portraits-fantômes du Beau Sexe au XIXème siècle1802 - Lettre affranchie
Delphine ne l'a pas choisie,
Elle s'est imposée à elle,
Bon gré mal gré, la Liberté
Si chère à Voltaire et Rousseau,
Et à Villon bien avant eux.
Désormais mordue, elle veut
Hurler comme Zola accuse :
J'existe - J'existe - J'EXISTE !!!
Ipso facto, frères et soeurs,
Chantons l'Adam, peignons la Ève ;
Pour festoyer, ami.e.s artistes,
N'attendons pas 1902 (2019).
1827 - Pauvres, nous deux
De tous les maux de tous les siècles,
Seule la honte me détruit ;
Je n'ai prononcé que deux voeux :
Pauvreté et obéissance..
Simplement deux ? Peut-être trois :
Amour, eau fraîche et cetera.
Je t'aime sans l'ombre d'un doute,
Comment te le prouver, Armance ?
Maudit, je ne peux que rougir..
Nul n'est tenu à l'Impossible,
Pardon, car j'ai désobéi ;
Par tous les noms de tous les cieux !
1835 - De mots peints...
Il peint les mots avec des mots :
Des mots d'émaux, des mots aimés,
Des mots vivants, des mots camés
À réveiller les mornes pierres,
À redonner la vue aux myopes !
Le Myosotis bleu conquiert
L'Orchidée assoupie dans l'eau
Vierge des lagons des montagnes,
Pour porter aux nues blanches, l'Or
Qui descend du ciel au printemps,
Et ressusciter la Beauté
Grâce au grain noir de ses beaux textes.
1838 - Pauline d'Adépé
Comme Madame Bovary,
Dedans son sang, le poison coule..
Mais plus lentement, à la cool ;
Moins brutalement, il arrive.
Elle l'entend au loin et compte
Les secondes entre la gronde
Et la foudre (ou entre la vie
Et la mort), sans crier à l'aide
— N'en déplaise à ce bon Alfred ! —
Pauline compte désormais
Parmi les victimes du Temps ;
Pauline est morte un peu trop tôt.
1848 - La Miss aux kaméhaméhas
Comme le chantera Lavoine :
"Yeux revolvers, regard qui tue",
Cette petite brune-là,
C'est la Passion qui s'évertue.
De dos, sa robe mousseline
Suggère une croupe féline
Qui fuit sans crainte, puis s'éloigne...
Pourquoi fuit-elle ? Qui est-elle ?
Comme si j'avais tous les droits,
Je la poursuis et l'interpelle.
La Belle arbore une fleur rouge ;
En un mot, elle me foudroie !
1855 - La vraie Marceline
Pour Madame de Girardin,
Elle composa cet hommage :
Un hommage à une belle âme,
Une âme soeur ; une consoeur
Qui s'est éteinte avant sa sœur ;
Un texte écrit dans le jardin.
Qu'il s'agisse de porter toast
Ou chanter avec appétit
L'amour en toute vérité,
Un coeur souffrant bat pour autrui
Dans ce jardin de l'amitié,
Où repose la Pureté.
1871 – L'As de coeur
Faisons ici un interstice,
Transgressons la douce doxa,
Digressons, glissons dans l'infâme :
Si pour Barbey d'Aurevilly,
Le bonheur à deux est un crime,
"Le crime paie", selon Booba.
Car pour le comte de Boulbi,
Le crime paie, encaissez-ça !
Loin de moi l'idée de trancher
Ou de mettre la main au feu ;
Si le Bonheur était de chair,
Aurait-il un dos féminin ?
1889 - Vers le caveau
Sous la plume de Maupassant,
Le quotidien cruel avance
Au pas militaire prussien,
Ou au trot des chevaux de poste ;
Qu'il est lointain le goût du sucre
Et des grivoiseries champêtres !
La séraphine est syphilis,
La Mort est le bourreau du temps.
Au fronton de notre sépulcre,
N'inscrivez rien, ou tout au plus :
"Ils vécurent leurs amours mortes,
À forte dose et sans scrupules."
1897 - Roxanne
Tu n'es pas à moi, tu es moi ;
Ou plus exactement, nous sommes
Les deux faces du même amour :
Le résultat de la Fusion.
De toi à moi — donc entre nous —
Seule cette complicité
Cimente notre relation ;
Nous parlons avec ta moustache
Mais ce sont mes mots qu'elle embrasse,
Ne l'oublie jamais, bel oiseau !
Maintenant va finement voir
Sarah Bernhardt on the red light.
Fin
