À lire au Km - Les Vertiges d'Alexandre (2017)


Les Vertiges d'Alexandre

— 12 textes —


I. Golgotha

Jésus marchait sur l'eau, je marche sur des œufs :
Croire est miraculeux ! Depuis que je suis né(e),
Mon âme païenne, pas tout à fait damnée,
S'adonne sans vergogne aux idoles martiennes
— Naître prédisposé n'est pas prédestiné ! —
Je suis péniblement un chemin vallonné...
Sur mes propres moyens, j'ai fait une croix ferme
Car plus je fais l'ange, plus je deviens vilaine ;
Combien devrais-je encor', pour Toi, assassiner ?
Combien de Marceline et combien de Julienne ?
Je ne signe plus rien, si ce n'est que moi-même ;
Seigneur, Seigneur, pourquoi m'as-Tu abandonné(e) ?

II. Au Tombeau

_ Il n'est plus sous nos yeux, et de toute évidence,
Nos pleurs ne seront pas l'antidote au poison ;
Portons notre chagrin, ensemble, en sa présence.
_ Ma foi tu n'as pas tort, à heure d'oraison,
Le ciel s'adresse aux cœurs couchés tel l'horizon,
"En tout' humilité", soupire le silence...
_ Si l'aurore est d'argent, marbrée est la saison,
Car de tous les transports, et sans équivalence,
L'été est passager, déplore le pinson ;
_ Se lève une aube vide, après le jour commence,
Puis le soleil rougit quand les ténèbres dansent...
Quelque part, notre Ami brille comme un tison !

III . Les Tablettes

Autrefois, autre temps : superbe est l'Éternel !
Aujourd'hui, autres mœurs : moins d'yeux amandines
Tournent de l’œil devant le Vivant à l'autel
— La Cité des anges veut du sensationnel ! —
Un autre fruit distille une paix grenadine,
Comme le beaujolais nouveau, une fois l'an...
Des écrans divisés se multiplient par lots :
Leurs visages, au teint bleu marine, fêtent Noël
Et offrent des éclats à leurs belles prunelles ;
Les petits alevins sont devenus sardines,
Ils reflètent sous l'eau leur unité divine.
Dans des paumes de main, vibre l'Emmanuel...

IV. Le Décodex

Regarde donc le ciel et ses constellations :
Jupiter féconde la Miss de l'horoscope,
Et la planète X se joue du télescope ;
Buzz l'éclair procure quelques palpitations...
La Terre tremblote sa fèvre au gyroscope,
« Et nous, nous regardons ailleurs », a dit Chirac,
Dans un fameux discours au concert des nations
— « Mais si la terre est ronde, alors j'ai les pieds plats »,
Aurait-il ajouté, selon le médiascope —
Voilà. La messe est dite et diffusée par Skype :
C'est l'ère du verseau, à l'heure des poissons ;
L'ire de la Reine ou la colère de Sion !

V. Colombe

Comme le soleil blanc, sa course est silencieuse,
Particulièrement, pendant la nuit des sens :
Quand espérance et foi croissent à contresens ;
Quand Sa présence fuit notre union délicieuse
— Celle du Cantique des cantiques, bien sûr ! —
Je chante la Grâce, je chante la Colombe.
Elle plane au-dessus de l'encens capiteux ;
Sous son aile, niche la mamelle des anges, 
Autrement dit, le sein des saints (ou saint dessein)
— Et si les colombes pondent des œufs, Messieurs,
Je rappelle à mon tour que nul ange n'a d'ailes ! —
Je chante aussi le Feu, en chantant la Colombe.

VI. Samuel L. Jackson

« [...] quand s'abattra sur toi le bras du tout-puissant » ;
Je disais toujours ça, c'était ma ritournelle,
Mon gimmick de mec cool, ma tirade mortelle !
Chez le gars en face, ça lui glaçait le sang...
J'avoue que ce n'est pas vraiment dans Ezéchiel,
Alors, disons que c'est du Ezéchiel façon
'Rostand' ; et je n'avais que cet anesthésiant
Pour offrir à mon Frère une fin solennelle ;
J'étais l'inquisiteur, le bras du Tout-puissant !
À cette époque-là, je n'étais pas tout seul...
Si vous vous demandez où se trouve Vincent,
Je crois qu'il répète sur son violoncelle...

VII. Les Confessions d'Alexandre

2 Pi 2.22 tatoué sur l'épaule,
Comme un aveu sous peau, sauvegarde le fou :
« Je ne suis pas le chien malgré la trace au col,
Je suis le chien du chien, la balle qui l'affole...
Boulimique aux abois, je ravale ma bile ;
Je mange mon vomi plus souvent que parfois
— Et adieu le rappel si le chien a la dalle ! —
Sans transition, la truie se traîne dans la boue ;
Elle n'aime pas ça car c'est sale et poisseux,
Pourtant, son cuir rose s'y rend sans retenue...
On ne peut pas lutter quand c'est plus fort que soi ;
Combien d'ave maria pour se débarrasser ? »

VIII. Lazare

« Oh! Rabbi, tu saignes ? _ Il n'est pas encor' l'heure...
Lazare n'est pas mort, il dort profondément ;
Il a beaucoup souffert, c'est pour ça que je pleure...
Lui, qui se dévisse la cheville en sautant
Des bonds in extremis au-delà le vivant ;
Lui, qui craint d'écraser les chenilles l'été,
Ne méritait pas ça ; c'est pour ça que je pleure...
Les papillons de nuit veillent le fils d'Adam,
Allons à Béthanie réconforter nos sœurs :
Les papillons de nuit nous le rendront vivant !
Quatre jours, as-tu dit ? Là n'est pas l'Important ;
Qu'il sorte maintenant de toute cécité ! »

IX. Au nom du Fiel

Je ne vous aime pas et cela Le désole...
Il a crié « Fiat Lux », je suis né dans l'écho ;
Il a créé l'Homme, j'ai hurlé « non serviam » ;
Il a fait la Femme, j'ai tendu une pomme ;
Il a tendu la joue, la joue du Fils de l'Homme...
Malheur à moi ! À vous ! Je suis banni du Ciel !
Privé de Lumière, comme une âme au shéol,
Comme une âme d'homme sans corps, superficielle,
Qui d'amour ne connaît que chair, sang, peau et os ;
Ne demeure chez moi que le goût sans le Sel...
Je vomis à grands seaux ma haine torrentielle,
En prêchant la fiente aux sous-anges que vous êtes !

X. Stigmates

Ma religion n'est pas le culte du bien-être,
De la zen attitude et des litchis bio !
Pour être beau, il faut souffrir et disparaître ;
Pour être bon, il faut se reconnaître « idiot » !
On n'est pas chrétien seul, mais seulement les autres...
Ils se font purgatoire en me brisant le dos,
J'en souffre dans la chair comme Saint Paul Apôtre ;
Poli(e), je leur renvoie la pareille, étant l'autre
De l'autre, également, je tue l'alter ego :
Tu es Abel, je suis Caïn, en quelque sorte...
« Rape me' as a friend, as an old ennemy »,
Oeil pour oeil, sang pour sang, comme Padre Pio.

XI. L'Index

K.O au 1er round : le Pape François, 1 ;
Alexandre, 0 — Out! — D'une pichenette
(Joyeuse néanmoins), dès le numéro 1,
Le Saint Père m'enterre, amen alleluia !
La Joie de l'Evangile a mis K.O la bête
Au premier paragraphe, amen alleluia !
Je me suis reconnu sous votre doigt très saint,
J'ai eu honte et j'ai pris la poudre d'escampette ;
Parti(e) à l'anglaise — sans lever le pied — hein !
Vous m'avez rappelé du ventre de la bête ;
Evangelii gaudium pour tous, alleluia !
La Joie de l'Evangile, en bon françois, amen.

XII. Glorieuse postface

L'angoisse de la page immaculée survole
Mon cahier à carreaux... La réglure Seyès
Se confond louchement au néant sous mes yeux
_ Soit c'est moi qui bigle, soit ces lignes sont folles !
Elles forment de floues vaguelettes opaques
Qui, littéralement, m'appellent à plonger
Dans le silence noir ; là où les carpes vaquent
À leur occupation préférée : prolonger
L'abyssal silence du samedi de Pâques...
Ce silence patient témoigne qu'elles savent
Combien le bon Pêcheur se soucie de leurs vœux ;
Je vois dans le ciel bleu, Jésus marcher sur l'eau...

Fin